L’Année Stendhalienne n°19,
Année 2020
Stendhal Milanese
Un classique transnational ?
La tombe d’Henri Beyle est un lieu de mémoire franco-italien. On connaît le texte de son épitaphe, rédigé par lui puis partiellement corrigé par son cousin et exécuteur testamentaire Romain Colomb. On le redonne ici, tel qu’imaginé par l’écrivain dans les Souvenirs d’égotisme (manuscrit conservé à la bibliothèque municipale de Grenoble sous la cote R. 300 (bis) Rés., f°135) :
Errico Beyle
Milanese
Visse
Scrisse
Amó
[…]
Henri Beyle n’a donc été enterré, suivant sa volonté, ni sous son véritable nom, ni sous son pseudonyme (germanique) le plus connu, ni dans sa langue maternelle, ni comme Français. Ces modifications profondes de son état civil et de son identité sociale ont l’intérêt d’une énigme. On voudrait les prendre au sérieux, et savoir dans quelle mesure l’affirmation première et fondamentale contenue dans ces lignes est vraie : « Errico Beyle Milanese ».
Cette question a été principalement abordée sur le mode biographique : plus d’un siècle de science stendhalienne nous permet de connaître dans le détail les rencontres, les amis, les amours, les adresses, l’emploi du temps d’Henri Beyle à Milan, dans les différentes périodes où il y a vécu. L’objet de ce numéro est de réfléchir, d’abord, à partir de ces données et de toute donnée historique et socioculturelle utile, à la fonction qu’a eue Milan dans la formation et dans la création d’Henri Beyle. Il est, ensuite, de cerner cette particularité – qui règle en partie le statut de Stendhal dans le panthéon national français – qu’il est à la fois un classique de la littérature française et un écrivain « transnational ». « Stendhal », figure de l’exil, figure de l’interaction des cultures, figure de l’Empire aussi, dénie la solidité des frontières, tout en accentuant les différences culturelles.
Ainsi, qu’est-ce que cela a d’intéressant, de pertinent, dans la perspective de l’histoire de la littérature, d’affirmer que Stendhal est un écrivain milanais ?
Ce sujet de réflexion invite à développer les points suivants :
Le contexte culturel et politique des premières publications stendhaliennes :
• Milan, capitale impériale : la spécificité de la situation politique lombarde dans les années 1810-1820 ; le carbonarisme ;
• Milan comme interface culturelle entre Italie, Allemagne, Autriche-Hongrie, France et Royaume-Uni dans cette période (tradition intellectuelle des Lumières, forte présence de l’imaginaire renaissant, circulation des imprimés, des idées et des savoirs contemporains, présence de la culture germanique, influence des cultures française et britannique, etc.) ;
• La francophonie dans le Milan de ces années, l’existence d’une communauté française en Lombardie, et d’une communauté lombarde à Paris dans les années 1820 (autour de Giuditta Pasta par exemple) ;
• La vie des revues libérales, patriotiques et romantiques à Milan sous la Restauration ; l’existence d’un foyer bonapartiste en Lombardie ;
• Plus généralement, la vie intellectuelle et artistique milanaise (arts plastiques, musique, danse, littérature, sciences, sciences humaines, droit). La Scala : ce qu’on y voit et ce qui s’y joue.
Une littérature de l’exil ?
• L’entrée d’Henri Beyle dans la carrière d’écrivain à Milan. Peut-on caractériser la littérature écrite par Stendhal à Milan comme une littérature de l’exil et pourquoi ? Le nom « Stendhal » : en quoi est-il milanais ? Les choix éditoriaux d’Henri Beyle.
• L’enjeu interculturel dans les premières créations stendhaliennes et dans la correspondance (thématisation de la différence culturelle, comparaison des cultures, thématisation de la rencontre des cultures, thématisation du voyage, du nomadisme, thématisation de l’exil) ;
• Comment analyser les textes que Stendhal consacre à Milan et aux Milanais dans les années 1800-1820 (historiographie, histoire de l’art, science politique, anthropologie) ? Comment s’articulent « Italie » et « Lombardie » dans la vision politique de Stendhal ? Comment sont représentées Milan et la Lombardie dans les fictions stendhaliennes ?
• Les textes de Stendhal écrits à Milan : éléments de poétique, de génétique et de stylistique concernant l’écriture des Vies de Haydn, Mozart et Métastase, de l’Histoire de la peinture en Italie, de Rome, Naples, Florence en 1817, de la Vie de Napoléon, de De l’amour.
Les propositions (de 300 mots environ et précisées par un titre), sont à remettre à François Vanoosthuyse (vanoosthuyse.f@gmail.com), accompagnées d’un CV court, avant le 3 décembre 2018.